La pire insulte que j’ai entendue.

398_1La pire insulte que j’ai entendue.

J’étais jeune et fraiche et je faisais partie d’un groupe de copines. Toutes Black and proud et beautiful. On se sent si fortes en horde ! Nous arpentions la vie comme si le monde nous appartenait. Et ça avait bon goût je vous assure ! Un week-end nous décidâmes d’aller voir un film et deux des membres de notre glam-gang arrivèrent en retard. Mado et Cathy. Cathy, une très belle jeune femme à la peau café au lait, longue et fine comme une liane exerçait la profession de mannequin. Et Mado qui avait la sensualité et la volupté d’une déesse nubienne à la peau d’ébène, était étudiante. Elle affichait ses splendides courbes sans concession et les hommes tombaient dans ses filets comme des bêtes prises au piège de son aura fatale. Nous formions un Glam gang fier et je le reconnais un peu bruyant. Avec cette façon qu’on les jeunes femmes d’éclater de rire pour être le centre d’attention. Nous mangions l’air dans les pièces que nous pénétrions. Nous étions le soleil, et les autres se réchauffaient à la lumière de notre rayonnement. Du moins, c’était ce qui émanait de nous inconsciemment. Avec cette belle arrogance de l’extrême jeunesse. A dix-sept, dix-huit ans, nous étions reines du monde.

Alors pensez-vous qu’une reine du monde, une impératrice de la terre, une pharaonne de l’univers dusse faire la queue ? Mado souverainement nous rejoignit donc en tête de la queue, où nous attentions benoitement depuis près d’une demi-heure. Cet acte accompli sans la moindre vergogne déclencha une vague de protestations très françaises. Un truc comme un mouvement indistinct des épaules, une moue furtivement cachée, un grognement ou murmure allez savoir, s’adressant à qui aurait une ouïe surnaturelle. Le tout créant une atmosphère d’hostilité  sournoise et dont Mado se moquait comme de son premier string.

Un homme cependant, brave, décidé et visiblement très courroucé sortit du lot pour manifester son vif mécontentement. D’où lui vint l’audace, voire le courage? J’ai une théorie là-dessus : Depuis  le début cet homme n’avait approuvé que très moyennement notre présence, je le reconnais à nouveau, assez flamboyante. Je pense que cet aspect de la situation fut pimenté par une constatation triste mais évidente. Nous n’en avions cure. Et pire, nous ne faisions absolument pas attention à lui. Il était en compagnie si mes souvenirs sont justes (mais qui pourra vérifier ?) d’une femme et d’un ou deux hommes. Jeunes comme nous, et caucasiens. Nous enchainions les blagues comme d’autres les uppercuts. J’avoue que ça devait être très irritant. Cette avalanche de rires d’hyènes déboulant dans les conversations soutenues à un volume civilisé. Et c’est là qu’est le point de ma théorie. Par des jeunes femmes qui n’envisageraient pas une seule seconde de poser leurs regards sur quelqu’un comme lui. Oui, je pense que le dépit fut le petit diable ventru qui le poussa à affronter la déesse.

Il sortit du lot dis-je et s’interposa entra Mado et la gang. Un frisson d’air glacial parcouru l‘assemblée. Quelque chose allait se passer. Et comme on s’ennuyait ferme, nos blagues n’étaient pas drôles pour tous, ce n’était pas du luxe. Les petites gens se réjouissaient à l’avance de voir cette impudente déesse se faire morigéner. On regrettait presque de ne pas avoir de pop-corn. L’homme intervint en statuant qu’il n’était pas question qu’elles doublent et qu’il leur fallait faire la queue comme tout le monde ; discours ponctué des « oui, non mais  dis-donc, c’est vrai quoi… » très indistincts émanant d’une foule timorée. Mado toisa l’individu et fit mine de passer son chemin. L’homme se saisi alors de son bras pour lui barrer le passage. Elle le contourna sèchement et vint me saluer. J’étais comme un lapin face aux phares d’une voiture. Muette et tétanisée. Je sentais l’orage et il avait une odeur de soufre. L’homme posa sa main sur l’épaule de Mado qui se retourna violement. Je ne sais pas si c‘est véridique mais d’après mon souvenir, ses yeux s’ombragèrent d’un voile d’incertitude et de terreur. La pharaonne était devenue panthère et pas le genre félin sympathique. Elle lui intima de retirer sa main de son épaule. Il lui dit qu’elle était mal élevée. Elle ne répondit pas et recommença à nous saluer. La foule grondait en murmurant comme à son habitude. Les yeux torves ne fixant rien mais regardant tout. Puis il prononça l’insulte la plus idiote que j’ai entendue.

«

  • Tête de cacao ! Silence pesant. Le temps en suspens. Mado s’interrompit et se retourna. Tous retinrent leurs souffles. Elle foudroya l’homme d’un regard sans fond. Puis elle lâcha cette bombe :
  • Espèce de blanc. »

Nous étions tous sous le choc. Comment un simple mot pouvait-il contenir une telle puissance destructrice ? Des siècles d’histoire d’un peuple qui avait anéanti d’autres civilisations en se targuant d’avoir une pigmentation qui le plaçait au-dessus de tout. Le blanc. Un mot chargé d’une telle puissance, d’une si sombre histoire. Il y a aurait tant à dire sur ce qu’on pouvait lire sur nos visages.

L’homme rentra dans le rang anéanti. Ses amis baissèrent la tête. Mado et Cathy nous rejoignirent en tête et cette fois personne n’osa protester. Le silence dura un bon moment. Nous étions les seules à discuter. Calmement cette fois. Ce fut un soulagement quand on ouvrit les portes. Je mis toutefois du temps à me détendre une fois le film commencé. Je ressens encore la puissance de l’onde de choc qui nous atteignit ce soir-là. Le soir où j’ai entendu la pire insulte de ma vie.


6 réflexions sur “La pire insulte que j’ai entendue.

  1. Franchement tu devrais écrire un livre ta narration est excellente et ton approche contextuelle est impressionnante tu m as tenue en haleine et j ai rigolé comme une idiote à la chute de ton histoire 😂😂😂😂 tête de cacao je l ai jamais entendu celle la elle merci pour cette petite histoire

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  2. J’aime beaucoup comme l’histoire est menée… réelle.. Imaginée.. En fait peu importe. Le tout est bien ficelé et je les voyais là devant mes yeux la déesse, le gars penaud, la foule avec ses murmures, …

    Maintenant reste le débat de l’injure, mais le on fera un autre jour.

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    1. Oh c’est une histoire vraie. Mais c’est vrai qu’elle a l’air irréelle. Mado et moi nous sommes perdues de vue comme ça elle reste la fière déesse que j’ai connue. Merci beaucoup. Bon weekend !

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    1. Ohlala je ne double jamais. Je suis trop timide lol. Mais ma mère le fait. Et j’ai envie de disparaître dans ces moments là. Elle parle en bassa et fait semblant de ne pas comprendre les protestations. Sacré elle!

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