Un autre événement qui est venu secouer ma petite sphère. La mort de mon oncle Joseph Mboui. Il est du même village que papa. Sa fille Kinjé Jackie et moi sommes des commères depuis le berceau. La disparition de tonton Joseph, son départ ou comme on dit en new-age, sa transition, a fait la une. La vie de l’homme politique sera célébrée comme il se doit dans les sphères académiques, politiques et au village. Mon oncle est reparti à la source. Il a ouvert la porte de l’au-delà pour retrouver ses amis, ses auteurs favoris, ses compositeurs chéris, ses parents et davantage.
Dans certaines traditions, on dit que la vie est comme une pièce de théâtre et qu’après notre trépas, nous nous relevons accueillis par ceux qui nous sont chers, attendu et acclamés par ceux de l’autre côté. Nous passons en revue notre prestation et décidons ou nous de prendre part à une prochaine production.
Mon oncle fut sans conteste une figure éminente du paysage politique Camerounais. Mais j’ai deux petites histoires à ajouter à la pièce de théâtre. Deux délicieuses didascalies.
Paris il y a un certain temps…
Une jeune fille (moi) étudiante en médecine sort de la fac. J’ai rendez-vous avec mon oncle, tonton Joseph. La veille, je lui avais dit que je serai vêtue de façon très fantaisiste. Mon oncle dans un éclat de rire m’avait répondu qu’il souhaitait me voir moi, pas un défilé de mode.
Bref je me suis rendue sur les lieux du rendez-vous, un restaurant parisien très chic. Il l’a choisi pour me faire plaisir. Parce que j’aime les fruits de mer et qu’ici , ils sont excellents. La dame qui vérifie les réservations à l’entrée se précipité. Il faut dire que j’ai la tenue des grands jours. Un jean délavé, sur lequel repose un pull informe, et à mon épaule pendouille une besace kaki vintage de l’armée américaine. Je pénètre dans le lobby, il y a un vaste escalier et mon oncle m’a indiqué qu’il serait à l’étage. Je m’engage. A peine ai-je mis un pied sur la moquette qu’une femme s’interpose me bloquant le passage.
-Bonsoir mademoiselle, vous avez réservé ? Siffle entre ses dents la dame blonde au chignon aussi serré que ses lèvres.
– Bonsoir madame. Je suis attendue.
-Que nom ?
-Délégation du Cameroun.
Le regard de la femme devient flou. Quelque chose s’égare dans sa tête. Des références ou un truc comme ça. Un vieux bruit de valeurs qui s’effondrent. Elle me plante avec un sobre –Veuillez patientez, je reviens. Et grimpe les escaliers. Sa politesse a dû la devancer. Plus de « mademoiselle » ni de « s’il vous plait ». Je patiente sous le regard suspicieux des clients. La dame redescend. Toute pale elle indique l’escalier.
-Veuillez me suivre, vous êtes attendue, en effet.
Mon oncle est debout et m’invite à m’assoir. Lorsque je le lui raconte la tragédie qui a s’est jouée à l’accueil du restaurant, il se met à rire. Nous parlons de tout et de rien. Surtout de moi. Ce qui est rare quand on sait combien les politiciens aiment à parler d’eux-mêmes. Il veut savoir si tout va bien. Comment se passent mes études. Est-ce que j’ai choisi ma spécialité. C’est un grand amateur de musique classique. Nous parlons musique baroque et orchestre de chambre. Nous parlons théâtre aussi. Je lui fais part de mes regrets d’avoir dû arrêter pour étudier. A la fin du repas, il me glisse un cadeau, un parfum de marque avec des billets. Pour payer ma carte de transport et faire du shopping.
Je ressors reboostée. Je me sens soutenue. Et j’ai très bien mangé. C’est un souvenir avec beaucoup d’importance pour moi. Parce que malgré son emploi du temps chargé, véritablement planning de ministre, il avait trouvé le temps de venir me voir.
Au revoir Tonton Joseph ! Au prochain restau que tu choisiras pour moi, je sais que je serai beaucoup mieux reçue. Et surtout Merci.
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